Lorsque l’un des commentateurs en réaction à mes contributions musicales partagées sur Facebook (marches harmoniques) a mentionné Henri Challan, cela a ravivé en moi le souvenir de mes années passées en classe d’harmonie à l’âge de 16 ans. À l’approche de la rentrée des classes, il m’a semblé opportun de partager mes souvenirs.
L’oreille du bizuth
Déjà élève de la rue de Madrid (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris), j’ignorais pourtant absolument tout de l’harmonie. Cette première fois, dans la classe d’Henri Challan, a marqué mon esprit comme celui de beaucoup de ses nouveaux élèves.
Ce n’est pas son accueil, classiquement poli et plutôt neutre, tout comme son costume-cravate traditionnel pour les professeurs de l’établissement qui marquait les esprits, bien au contraire, on avait d’ailleurs affaire à un homme âgé de 56 ans à la chevelure argentée et plutôt petit.
La surprise venait quand il s’asseyait au piano, de manière à en cacher le clavier et qu’il s’adressait au nouvel arrivant avec un charmant cheveu sur la langue :
- « Pouvez-vous me dire, Monzieur, quelles zont zes notes ? »
Le temps de comprendre ce qui se passait (les anciens bien entendu, ne prévenaient pas les nouveaux), je m’apercevais qu’il avait joué rapidement une série de 7 ou 8 notes à la volée, altérations comprises et qu’il attendait maintenant que je donne exactement le nom de chacune d’entre elles.
C’était sa façon de vérifier l’oreille de son nouvel élève. Je pense avoir bien répondu ce jour-là, car il ne m’a rien demandé de plus. Les cours d’harmonie pouvaient commencer.
Basses et chants donnés
Étudier l’harmonie, c’est :
- apprendre à savoir enchaîner élégamment des suites d’accords des plus simples aux plus complexes, tels qu’ils apparaissent dans l’histoire de la musique ;
- et entendre le plus finement possible le moment où leur utilisation vient sublimer n’importe quelle mélodie.
Pour le premier savoir, le professeur d’harmonie donne une basse assortie d’un système de chiffrage classique, il faut alors « monter » les accords, les assemblant un à un tout en veillant à ce que la partie aiguë, le chant, soit mélodieuse.
Pour le second, qui constitue le véritable défi du compositeur, il faut harmoniser un simple chant donné par le professeur, c’est-à-dire deviner la suite d’accords qui vont accompagner au mieux ce chant.
Henri Challan, est resté célèbre dans le monde de l’harmonie par le fait qu’il a considérablement fait évoluer les textes d’exercices en publiant ses 380 basses et chants donnés pour ce qu’on appelle l’étude du traité d’harmonie. Il a également composé de nombreuses Mélodies instrumentales à harmoniser en différents styles, à la manière de célèbres compositeurs.
Une pédagogie bien huilée en 3 temps !
En art, l’une des principales difficultés que rencontre tout pédagogue voulant partager au mieux son savoir-faire avec son élève est d’évaluer la qualité de son travail. Lui dire pourquoi tel accord ne s’enchaîne pas bien avec tel autre et comment l’élève pourrait s’y prendre pour éviter cet écueil.
Il ne s’agit pas d’imposer UNE réalisation, celle du professeur, car il existe une variété infinie de possibilités en matière d’harmonisation. Je n’ai jamais vu Henri Challan imposer SA version de l’exercice proposé. Par contre sa façon de retravailler le texte de chaque élève de sa classe en l’améliorant peu à peu pour le faire « sonner mieux » était remarquable.
Sa méthode était bien rodée en 3 temps : jouer, corriger, évaluer !
Il jouait très finement les réalisations au piano, se faisant aider à 3 ou 4 mains pour les exercices plus complexes par un ou une étudiant(e). Quant à l’évaluation finale, Henri Challan avait une habitude qui ne souffrait aucune contestation : il dirigeait son stylo juste après la double barre finale et inscrivait tout simplement une valeur de note. Sans autre commentaire.
Inutile de dire combien l’on redoutait la double croche, valeur si brève qu’elle était synonyme d’échec, même pointée ! Par contre quelle satisfaction de voir apparaître la belle blanche sans parler de la ronde, approbatrice d’un devoir extrêmement réussi.
Un passeur d’harmonie française
J’ai commencé à enseigner l’harmonie en 1977, l’année de sa mort. Et, comme beaucoup de professeurs, j’ai essayé d’enseigner comme Henri Challan m’avait enseigné ! J’ai par la suite forgé ma propre pédagogie, notamment en composant moi-même beaucoup de textes d’entraînement chaque année.
J’ai également découvert les textes de pas mal de collègues, soit édités soit en visitant leur classe, évaluant leurs élèves lors de jurys et en échangeant nos compositions.
J’ai constaté parfois, chez certains, une sorte de dédain pour le travail d’Henri Challan, comme si, après l’avoir trop aimé, certains s’en étaient lassés. Ce n’est pas mon cas. Les compositeurs de textes d’harmonie vont comme les compositeurs tout court. L’école française de composition musicale ne peut renier chacun de ses maillons : Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel.
Henri Challan était un passeur d’harmonie incontournable de cette école que nous envient beaucoup d’harmonistes étrangers. D’autres ont suivi : j’aime beaucoup utiliser les textes de Jean-Claude Raynaud et d’autres collègues, mais je garde en cette rentrée un souvenir inoubliable de la classe d’harmonie d’Henri Challan et de mes camarades (voir photo de classe !).
Henri Challan, lui-même compositeur, a formé tant de talentueux musiciens de tous styles, Michel Legrand en étant l’une des figures les plus célèbres, qu’il mérite bien cette évocation ! En écoutant les marches harmoniques dans Les parapluies de Cherbourg ou la Valse des lilas, n’oublions pas qu’avant d’être les musiciens tant appréciés de nos concerts, ils ont un jour passé la porte, lors d’une rentrée scolaire d’un dénommé Henri Challan.
Et vous ? Où en êtes vous de l’harmonie ? De vos créations ? On en reparle bientôt ?
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