Pouvez-vous expliquer la théorie musicale en 3 cours ?

Campus UPPA

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’une expérience qu’il m’a été donné de réaliser il y a maintenant un peu plus d’une vingtaine d’années. Je donnais des cours d’écriture à l’UPPA, c’est-à-dire l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

Une demande singulière, analyser langage musical

Madame Moyal, Directrice du département Musique, vient dans ma classe pour me faire part d’une demande originale émanant de ses collègues du département des langues. Une étudiante souhaitait faire une thèse mettant en correspondance les particularités sonores de la langue anglaise avec celles de la musique.

  • Très bien, mais en quoi cela me concerne-t-il ?
  • L’étudiante en question n’y connait rien en musique !

Me voyant perplexe, ma directrice ajoute :

  • « J’ai pensé que tu pouvais lui enseigner les fondamentaux… »

Le temps de mesurer ce que ce genre de cours signifiait, je pose la question-clé :

  • De combien de temps dispose-t-on ? 
  • Juste deux ou trois semaines car elle doit rédiger sa thèse pour la soutenir à la fin de cette année scolaire !

J’aime les défis mais celui-ci est un de ceux qui m’ont demandé le plus intense  effort pédagogique de synthèse. Ma présentation s’est donc effectuée de façon cocasse : une salle de l’UPPA, un piano, un tableau, une étudiante au premier rang. Je précise, au fond, ma directrice qui m’avait demandé d’assister à ce qu’on aurait pu appeler ‘la théorie musicale en 3 cours’.

Sachant que le travail de l’étudiante l’amenait à recueillir des analyses scientifiques d’enregistrements de la langue anglaise parlée, je décide de présenter la musique sous l’angle des paramètres du son :

  1. La hauteur : la portée, écriture et lecture des notes, les clés (grave/aigu)
  2. L’intensité : les nuances, les dynamiques
  3. Le timbre : la voix humaine, les insturments (que je développais peu)
  4. La durée : valeurs de notes et de silences et équivalences, tempo, mesures, temps, divisions binaires et ternaires, appuis des temps forts et faibles qui à mon sens était un élément déterminant !

J’en étais là, à la fin du 2e cours, guettant la perception que l’étudiante pouvait avoir de ce flot d’informations, redoutant le point de rupture…  mais non ! elle continuait sans cesse à prendre ses notes comme depuis le début, répondait correctement aux quelques questions de révision que je lui posais et bien qu’elle m’ait arrêté deux ou trois fois pour demander de reprendre une explication, elle semblait tenir le coup !

C’est à ce moment-là qu’avant de partir elle me pose la question :

  • Puis-je vous laisser un enregistrement de la musique qui va me servir de point de comparaison avec l’anglais ?

J’avoue avoir été stoppé net par cette demande. Je n’avais pas pensé qu’elle ait déjà choisi ses exemples musicaux. C’était une erreur de ma part. En étudiante volontaire et organisée son schéma de pensée reposait déjà sur des choix, concernant aussi bien la musique que l’anglais.

Je me suis entendu répondre… 

  • Bien entendu ! de quoi s’agit-il ? … 

… alors que me venait à l’esprit le magnifique thème de Henry Purcell ‘If love’s a sweet passion’ tiré du ‘King Arthur’, thème que je comptais lui recommander d’employer au dernier cours…

Rarement réponse m’a laissé à ce point sans voix :

  • Bob Marley

et elle me tend les enregistrements. https://youtu.be/69RdQFDuYPI 

En retournant chez moi, l’effet de surprise passé, j’essayais de fouiller dans ma mémoire auditive pour me souvenir du style de ce chanteur. 

Mais ce n’est qu’en écoutant à plein volume la première chanson – ce qui d’ailleurs m’a valu l’arrivée de mes filles dans mon bureau se demandant ce qui se passait – que l’ambiance musicale si particulière de la Jamaïque me sautait aux oreilles : LE REGGAE !!!

Heureusement qu’il restait encore un cours dans une semaine car tout ce que j’avais expliqué sur les appuis devenait faux !

Ceci mérite une petite explication technique.

Dans le langage universel qu’est la musique occidentale comme dans n’importe quelle langue il y a des accents toniques. On appelle cette façon d’accentuer l’alternance entre temps (ou partie du temps) fort(e) et temps (ou partie du temps) faible. Je préfère quant à moi parler d’appui (+) et de non-appui (-). 

En effet dès qu’on emploie, en musique, le terme fort il risque y avoir une équivoque avec la nuance du même nom. Or les accents toniques musicaux ne consistent pas à alterner sans cesse des sons forte et piano !

Ces appuis se répartissent naturellement ainsi :

A noter :  signifie appui, – signifie non appui, (  ) accentue la notion

En ce qui concerne les temps

  • 2/4 : 1er temps +  2e temps  
  • 3/4 : 1er temps +  2e temps   3e temps ( – ) 
  • 4/4 : 1er temps +  2e temps – 3e temps ( + )  4e temps 

La répartition est identique à l’échelle deux fois plus petite, c’est ce qu’on appelle une fractale (organisation d’une forme identique à celle que l’on trouve à l’échelle supérieure ou inférieure).

Quand l’unité de temps est la noire, avec 2 croches successives la première est imperceptiblement plus appuyée que la 2e, avec un triolet la première plus appuyée que les deux autres, etc. Dans les mesures ternaires où chaque temps (d’une valeur totale, par exemple, d’une noire pointée) est par nature divisible en trois croches il en va de même : + – ( – ).

Cette façon d’accentuer légèrement les sons placés en appui sur les temps ou parties de temps, à l’exception d’indications de dynamiques contraires notées par le compositeur, a perdurée pendant des siècles ! C’est celle que j’enseignais à cette doctorante en anglais en oubliant complètement qu’un autre choix musical de sa part pouvait transformer tous mes temps forts et faibles en temps faux !

Au XXe siècle, l’avènement du Jazz, du Rock et en particulier du Reggae, c’est bien là ma chance, a inversé complètement la notion d’accent tonique musical. Tout ce qui était faible est devenu fort et inversement.

L’écoute des enregistrements de Bob Marley où, non seulement la percussion, mais aussi les guitares s’emploient à accentuer invariablement les 2es et 4es temps, le phrasé des mélodies faisant de même à l’échelle inférieure des divisions du temps où le chanteur place ses paroles m’ont ramené ce jour-là à une autre réalité que je me suis efforcé d’enseigner : l’after beat, qu’on pourrait traduire par ‘le temps d’après’.

L’étudiante a dû se dire que j’avais d’abord enseigné la règle classique des appuis pour ensuite l’adapter à la musique de son choix, si c’est le cas, je ne l’ai pas détrompée ! 

Le dernier cours terminé, je n’ai plus songé à cet exercice original jusqu’au moment où le département des langues de l’UPPA m’a demandé de siéger au jury de soutenance. La première partie du feu roulant des questions par les membres éminents du jury s’est déroulée en anglais. On m’avait communiqué ce travail remarquable où j’ai pu admirer les audiogrammes mettant en évidence les caractéristiques sonores de cette langue mais ma pratique de l’anglais ne me permettait ni d’en saisir les subtilités écrites ni d’apprécier les réponses orales faites par cette étudiante.Pour finir, mon tour est arrivé lorsque le président du jury m’a fait signe de poser mes questions musicales (en français, ouf !). J’ai eu le plaisir de constater que cette étudiante, sans être devenue musicienne pour autant et au grand étonnement du reste du jury avait acquis de l’aisance dans un autre langage au point d’en analyser les caractéristiques sonores fondamentales, le langage de la musique.

Bonne méditation !

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