Le parallélisme de quintes et d’octaves : richesse ou faiblesse ?

Photo de Kush Dwivedi sur Unsplash

Une analyse des compositions pour ensembles homogènes du type « chorals de Bach » puis de l’époque classique et romantique démontre que cette règle a majoritairement perduré, bien sûr avec des exceptions. Pourquoi ?

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Mais avant pour bien comprendre, je vais vous parler de ce qui a été mon activité professionnelle principale : donner des cours d’harmonie traditionnelle.

J’ai toujours regardé avec intérêt et curiosité les réactions des élèves qui, s’étant inscrits en cours d’harmonie, découvraient au premier cours les principales règles à respecter. J’ai vu toute la panoplie des états possibles dans ces circonstances : de l’enthousiasme au plus haut degré à… la demande urgente faite par un étudiant de sortir de la classe pour… respirer de l’air frais ! Il faut dire que dans son cas, suivre ce cours il lui avait été imposé.

Le plus dur : accepter les contraintes des règles 

La réaction est de chercher immédiatement à contourner une règle imposée se retrouve donc aussi dans le monde des étudiants en harmonie. Il faut donc expliciter dès le départ ce qu’est une règle en harmonie.

Comment définir la règle d’harmonie ?

L’harmonie n’est pas une science exacte dans laquelle le choix et le positionnement des accords pourraient être décrétés justes ou faux. De plus la technique musicale consistant à construire des accords, les enchaîner et les utiliser pour harmoniser une mélodie a considérablement évolué au cours de l’histoire de la musique.

Qui est donc habilité à décréter une règle en harmonie ? Mieux encore, qu’est-ce qu’une règle ? 

Comme pour les autres arts, les grands principes de ce qui est considéré comme beau et par voie de conséquence, ce qui ne l’est pas, se déduit des œuvres de ceux qui sont considérés comme de grands maîtres. En effet, l’analyse de leur technique de composition en harmonie et en contrepoint permet de dégager des constantes : ce qui sonnait bien à leurs oreilles.

Une fois définis les secrets de fabrication qui se déduisent de leurs compositions, des techniciens ont pu élaborer des traités développant leur savoir-faire et entraîner dans leurs sillages des apprentis compositeurs dont la règle consistait à les imiter.

Le principe du balancier 

Cependant comme pour toute esthétique bien établie qui ne dure qu’un temps, grâce à des esprits ouverts en quête de nouvelles sonorités, ces « règles » ont souvent volé en éclat : de nouvelles compositions audacieuses apparaissent qui dans un premier temps dérangent les oreilles des tenants de la règle puis peu à peu imposent leur sens musical de ce qui « sonne bien ». La querelle des anciens et des modernes où le paradoxe est que c’est précisément ce qu’on a détesté qui devient ce qu’on va rechercher !

C’est ce qu’on appelle le principe du balancier. Prenons aujourd’hui un exemple à l’aide d’une règle assez connue du cours d’harmonie : l’interdiction d’enchaîner successivement 2 quintes ou 2 octaves. 

Voici le soprano de la première période d’un choral de Jean-Sébastien Bach :

Et maintenant les 3 premiers accords de la réalisation-piano d’un élève qui n’a pas tenu compte de la règle en question : 

Et voici la correction du professeur qui rappelle à l’élève qu’un choral est un ensemble vocal composé d’un quatuor mixte a cappella comprenant Sopranos, Altos, Ténors et Basses en notant sa version sur 4 portées et faisant apparaître les relations fautives d’intervalles successifs interdits :

Illustration musicale
  • De A à B à C, Basses/Ténors : ré-la puis fa-do puis sol-ré = 3 quintes !
  • De B à C, Basses/Altos : fa-fa puis sol-sol = 2 octaves !

En guise de correction, voici le choral réalisé par JS. Bach, en version piano, pour que les pianistes puissent comparer la sonorité des deux versions :

Et enfin la version pour chœur de Bach où les 6 vérifications des voix 2 par 2, montre qu’il respecte soigneusement cette règle n’enchaînant jamais 2 quintes ou 2 octaves successivement aux mêmes voix.

Notez bien l’importance de la fin de l’énoncé de la règle : « aux mêmes voix ». Un élève arrivant au 2e cours totalement dépité me dit un jour : 

– Monsieur, il est impossible de réaliser cet exercice sans faire deux quintes ou deux octaves successives. 

Il avait simplement oublié de noter la fin de la règle : « aux mêmes voix » et comme chaque accord comprend une 5te et une octave (quand on double la basse d’un accord à 3 sons) c’était en effet impossible par définition, chaque accord comprenant une 5te et une 8ve. 

Pourquoi ce principe ? 

Une analyse des compositions pour ensembles homogènes du type « chorals de Bach » puis de l’époque classique et romantique démontre que cette règle a majoritairement perduré, bien sûr avec des exceptions. Pourquoi ?

Cela tient sans doute au caractère des intervalles d’octaves justes et de quintes justes. En effet, après avoir régné sur le monde de la belle consonance, ils ont, par phénomène du balancier, été considérés comme une « dureté » pour la quinte et « platitude » relative pour l’octave. Il fallait donc totalement éviter de faire entendre deux fois de suite la sonorité aux mêmes voix !

Quintes et octaves : le retour 

Fort heureusement, au tournant du XXe siècle parmi d’autres esprits ouverts en quête de nouvelles sonorités, les annales du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris gardent le souvenir du jeune Claude Achille Debussy qui, en attendant l’arrivée de son professeur d’Harmonie, Emile Durand, enchaînait allègrement les 5tes et 8ves dans des glissements parallèles de magnifiques 9es Majeures ! Et l’on connaît la suite.

Que faut-il enseigner ?

Y aurait-il eu Debussy s’il n’y avait eu Fauré, et Fauré sans Schumann, sans Mozart et sans Bach ? Les principes sonores expérimentés par les uns et les autres méritent d’être connus et enseignés pour en suivre la trame. C’est l’objet d’un cours complet d’écriture dans lequel l’apprenti sensible et sensé, au lieu de contourner les règles va chercher à les comprendre, les utiliser et les faire siennes telle une richesse pour ensuite savoir les abandonner sans faiblesse.

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