« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Nicolas Boileau
J’ai eu de nombreuses réactions sur le sujet des modes anciens. C’est pourquoi, dans cet article, je vais approfondir mon propos. Je vous propose une perspective alternative, une autre vision des modes pour ceux qui ne sont pas familiers avec les termes grecs.
On peut énoncer clairement, mais différemment une même notion théorique
En pédagogie il ne faut pas confondre l’objectif et les moyens. Les moyens pour analyser, expliquer et expérimenter les modes anciens peuvent diverger selon le pédagogue, le public auquel il s’adresse, mais surtout le but poursuivi.
Par exemple, si un musicien expérimenté souhaite faire connaissance avec les modes anciens, il lui faut se tourner vers les musicologues spécialisés sur le sujet. Cela lui permettra d’éviter toute simplification abusive !
Maintenant s’il s’agit simplement d’ajouter à sa palette de compositeur ou d’improvisateur des couleurs mélodiques et harmoniques reprenant les caractéristiques des échelles de ces modes pour aller plus loin que la seule utilisation du mode Majeur et des modes mineurs, c’est-à-dire une utilisation moderne de ces modes déconnectée de leurs usages anciens, il en va autrement.
Les théories de musique jazz et musique actuelle utilisent largement ces modes anciens en employant leurs noms d’origine grecque, ce que vous n’avez pas manqué de me rappeler en me demandant pourquoi je ne les utilisais pas dans ma présentation.
Lorsqu’un musicien chevronné souhaite explorer les modes anciens, il est souvent recommandé de consulter des musicologues spécialisés pour éviter toute simplification excessive.
Différentes façons de présenter les 6 modes anciens
Voici 3 tableaux permettant de comparer les appellations de ces différents modes anciens.
Quel est mon but ?
Mon but consiste à faciliter au maximum l’utilisation de ces 6 couleurs graduées du mode le plus sombre (en bas du tableau) au mode le plus clair (en haut) :
On observe 2 groupes de modes,
- En bas : un groupe de 3 modes à connotation mineure due à sa tierce mineure entre ses degrés I et III.
- En haut : un autre groupe de 3 modes à connotation Majeure due à sa tierce Majeure entre ses degrés I et III.
Dans le groupe « mineur », l’échelle mineure naturelle, c’est-à-dire sans sensible ajoutée artificiellement, constitue le mode central.
- À partir de ce mode central mineur, il suffit d’abaisser le IIe degré pour obtenir le mode sous-mineur, mode le plus sombre du tableau.
- À partir de ce mode central mineur, il suffit de hausser le VIe degré pour obtenir le mode sur-mineur, mode un peu moins sombre que lui.
Dans le groupe « Majeur » c’est notre mode Majeur qui constitue le mode central.
- À partir de ce mode central il suffit d’abaisser le VIIe degré pour obtenir le mode sous-Majeur un peu moins clair que lui
- À partir de ce mode central Majeur, il suffit de hausser le IVe degré pour obtenir le mode sur-Majeur le plus clair du tableau.
Ces 6 modes dans le ton de LA sont présentés de bas en haut du plus sombre au plus clair. La différence minime de couleur en passant d’un mode au mode suivant est obtenue par la simple modification ASCENDANTE d’ ½ ton d’UN SEUL DEGRE de l’échelle.
Cela est vrai y compris quand on passe du sur-mineur au sous-Majeur par l’éclaircissement du do qui devient do#. Bien entendu, l’inverse est tout aussi exact en descendant le tableau du mode le plus clair au mode le plus sombre.
A chacun son expérimentation
Le plus important n’est pas de savoir comment on dénomme ces échelles, mais comment on arrive à les employer dans sa pratique d’improvisation ou de composition. Quand on a apprivoisé ces 6 couleurs, il est bien sûr préférable de s’en tenir à ce qui fonctionne bien.
Les appellations anglo-saxonnes d’origine grecque semblent très bien convenir à de nombreux jazzmen, jazzwomen et pratiquants de la musique actuelle. Tant mieux !
Ma façon de classer ces modes a bien convenu à mes élèves d’écriture depuis longtemps c’est pourquoi je continue de l’enseigner. Récemment encore une amie musicienne à qui j’avais expliqué mon tableau des modes a écrit un arrangement pour un spectacle sur une musique traditionnelle en y adjoignant différentes couleurs modales avec succès.
Et le mode de SI ?
Je m’attendais à ce que cette question me soit posée. À partir du moment où l’on utilise les différentes échelles de successions de tons et de ½ tons calquées sur les touches blanches du clavier, il y a bien 7 possibilités à partir des 7 notes différentes. Il manque donc le mode de si.
Rien n’empêche, bien entendu, d’utiliser mélodiquement l’enchaînement ½ ton + 1 ton + 1 ton + ½ ton + 1 ton + 1 ton + 1 ton à partir d’une tonique quelle qu’elle soit ( mode Locrien) , dans ses improvisations ou ses créations. On obtient une couleur encore plus sombre que le mode de mi ou sous-mineur.
Cependant, c’est dans l’utilisation harmonique moderne de ce mode que se pose un problème spécifique : c’est le seul mode où la distance entre le Ier et le Ve degré n’est pas une 5te juste.
Alors, pourquoi l’utilisation harmonique de ce mode ne peut fonctionner comme pour les 6 autres modes ?
Pour le comprendre il faut maintenant passer de la dimension mélodique de ces échelles à la dimension harmonique qu’elle sous-tend. Utiliser de façon moderne chacune de ces couleurs grâce à des enchaînements d’accords permet de comprendre ma façon de les classer. J’en déduirai aussi la raison pour laquelle je n’utilise pas le mode de Si.
Les deux constantes permettant de caractériser harmoniquement ces modes
Pour enchaîner deux accords principalement à 3 sons de manière à ce qu’on reconnaisse immédiatement la couleur d’un de ces modes il faut combiner deux éléments :
- Un des deux accords doit comprendre le son caractéristique de l’échelle mélodique (écrit en rouge et encerclé dans le tableau des Echelles mélodiques des modes anciens).
- L’enchaînement doit permettre d’identifier aisément la tonique de l’échelle utilisée, grâce à la présence soit du Ier degré -degré initial, mais surtout de repos final dans les cadences conclusives-, soit du Ve degré – degré de cadence suspensive-.
Remarquons de suite que le Ier degré à 3 sons du mode locrien ou mode de si comprend une 3ce mineure et une 5te diminuée, sonorité creuse et délicate qui ne favorise absolument pas le rôle dévolu à ce degré : état final de repos dans la phrase ou le texte.
Voilà donc pourquoi je n’inclue pas ce mode dans ma présentation.
Classement des enchaînement caractéristiques
Jusqu’ici j’ai parlé des degrés mélodiques des échelles de 6 modes anciens. Chacun de ces degrés peut servir de base à la construction d’un accord à 3 sons ou plus. On nomme degré harmonique, le degré qui porte cet accord. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le mot degré dans la suite de cet article.
Vous allez maintenant découvrir 2 premières vidéos où je présente les enchaînements caractéristiques de 3 modes anciens. A partir du mode Majeur référence, je présente d’abord le mode sur-Majeur (1ère vidéo) puis le sous-Majeur (2e vidéo).
J’ai classé les enchaînements caractéristiques selon la logique suivante :
- Enchaînements à partir du Ier degré
- Enchaînements vers le Ve degré
- Enchaînements à partir du Ve degré
- Enchaînements aboutissant sur le Ier degré.
Je vous conseille de lire le tableau des 3 modes anciens à connotation Majeure ci-dessous, pour suivre ces 2 vidéos
Maintenant, visionnez les 2 vidéos suivantes concernant les 3 modes à connotation mineure. A partir du mode mineur naturel, sans sensible, je présente d’abord le mode sur-mineur (3e vidéo) puis le mode sous-mineur ( 4e vidéo). Le classement des enchaînements suit la même logique que précédemment. De même, je vous conseille de lire le tableau correspondant ci-dessous :
Tableaux
Vous trouverez ci-dessous les tableaux afin de suivre mes explications :
Tableau harmonique des 3 modes à connotation Majeure
Tableau harmonique des 3 modes à connotation mineure
6 modes anciens
Vous avez maintenant accès à tous les enchaînements caractéristiques des 6 modes anciens expliqués au tableau, illustrés un à un au piano et présentés en résumé avec une petite improvisation dans mes vidéos. Cela vous donne 14 enchaînements à connotation Majeure et 14 à connotation mineure dans le ton de LA soit 28 enchaînements dont les 2 tableaux qui sont présentés à la fin de cette lettre vous donnent la partition.
Chaque enchaînement est transposable 11 fois dans les tons de SIb, SI, DO, REb, RE, MIb, MI, FA, FA#, SOL et LAb soit un réservoir de 336 enchaînements.
Plus que jamais, ma conclusion habituelle sera de circonstance, car c’est le fait d’enchaîner sans relâche tous ces accords qui finira par vous donner la capacité de jongler aisément avec ces couleurs harmoniques :
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