Souvenirs souvenirs…
Mardi 13 décembre 2016, 9 h. Il fait froid, et humide. On sent toujours à Bordeaux la proximité de la Gironde. L’air apporte les embruns de l’Océan jusqu’au plus profond de la ville. Il faut dire que nous ne sommes pas loin des quais. Il suffit de remonter la place des Quinconces, apercevoir l’Opéra sur la gauche. Traverser, les allées Tourny, avec ses installations temporaires de décembre pour les fêtes… tiens ! La sécurité est renforcée, nous sommes fouillés à l’entré. Enfin, nous nous engageons dans la rue Michel Montaigne, pour apercevoir le bâtiment.
Une place occupée
Place des grands hommes… C’est toujours étonnant quand on ne connaît pas l’endroit. Nous arrivons, non pas sur ce qu’on attendrait d’une place consacrée à célébrer les grands hommes. Je l’aurais imaginé, vaste, dégagée, un peu comme la place de l’Étoile, pardon du Général de Gaulle, à Paris.
Mais non, il ne faut pas chercher la place et pourtant elle est bien là. Elle est circulaire comme il se doit, avec ses rues adjacentes distribuées en étoile. Chacune d’entre elles porte le nom d’un grand homme. L’originalité de l’endroit, c’est que la totalité de la surface au sol de la place est occupée par une vaste galerie circulaire.
Peu d’agitation ce matin-là. C’est l’heure où l’on sert quelques petits déjeuners au bistrot des grands hommes. Comme il se doit, il n’y a pas encore grand monde sur la petite rue circulaire autour du magasin qui vient d’ouvrir, fort de ses trois étages. Quelques allées et venues cependant dans l’entrée d’un magnifique immeuble voisin où de jeunes silhouettes semblent s’engouffrer en silence.
Voies convergentes
9 h 10 : Marie franchit la porte, bien emmitouflée dans un épais manteau, un étui à la main. Elle semble hésiter devant le magasin de canelés et entre.
9 h 15 : Marie ressort. Elle n’a plus son manteau, mais toujours son étui . Elle déambule au 1er niveau devant les vitrines et revient sur ses pas.
9 h 18 : Thierry, blouson et guitare en bandoulière, pénètre dans le magasin par la même entrée. Il constate qu’il n’y a vraiment pas grand monde. Il pense qu’il est encore trop tôt pour voir débouler les Bordelais en quête d’achats pour les fêtes. Il se dirige droit devant lui, descend quelques marches. Il s’arrête soudain juste devant le piano droit fermé, à demeure sur cette petite esplanade à mi-étage. Ce piano fait souvent l’attraction dans le magasin quand un client s’installe et entreprend de jouer quelque improvisation de son cru.
Il faut dire que cette galerie comporte 4 niveaux. Le niveau enterré est celui où se trouve le marché de produits frais. Les trois étages supérieurs sont tous distribués sous forme de galeries circulaires qui donnent en surplomb sur le piano droit. Mais Thierry est guitariste et ce n’est pas la vue du piano qui l’a stoppé net. C’est Marie.
Duo ignoré
9 h 25 : Marie et Thierry se font la bise. Par quel hasard ces deux amis se rencontrent-ils ce matin-là ?
9 h 30 : Albin et Thomas, copains du Conservatoire de Musique de Bordeaux, ont décidé de se balader avant d’aller en cours. Comme Thomas veut s’acheter une nouvelle montre ils ont décidé de passer au magasin (1er niveau). Ils regardent les montres en vitrine et entrent.
9 h 35 : Thierry a sorti de la housse de sa guitare une partition qu’il montre à Marie. C’est la 1ère Gymnopédie d’Erik Satie – arrangement pour flûte et guitare. Marie ouvre son étui et sort sa flûte traversière. Thierry a aperçu des chaises en bas. Il descend 4 à 4 les marches et réapparaît avec l’une d’entre elles. Le temps de s’accorder, les 2 premiers accords délicatement exécutés, balancés par deux fois, à la guitare, voici le thème de la Gymnopédie que la flûte expose dans le hall du magasin sans que personne n’y prête attention !
Crescendo poco a poco…
9 h 38 : Muriel est gourmande. Maxime, Bertrand et Alain aussi. Ils doivent répéter leur quatuor de saxophones ce matin et ont décidé de se donner rendez-vous au café du 2e étage. Leur attention est attirée par Albin et Thomas qui sortent de la bijouterie munis de leur clarinette et basson. Ils sont juste en face d’eux à l’étage inférieur, sur le balcon opposé. Ils attaquent des contrechants au thème de Satie.
9 h 40 : Marie et Thierry ont été rejoints par deux pianistes, Michel et Béatrice. Ils ont soulevé le couvercle, fait signe au duo flûte-guitare de tourner en boucle sur la première moitié de la Gymnopédie. Mainteant, ils improvisent un accompagnement sur la grille d’accords alors que le quatuor de saxophones vient se mêler à l’ensemble.
9 h 50 : Peu à peu les visiteurs de la galerie et les commerçants s’intéressent à ce concert improvisé. Il commence à y avoir des groupes qui se forment. Certains autour du piano, d’autres près des saxophonistes côté pâtisserie et au 2e en face autour du duo clarinette-basson côté bijouterie.
Al coda
9 h 52 : Michel se lève soudain de son piano. Il donne le départ à un trompettiste au dernier étage, tout en haut des escaliers faisant un grand signe : chiffre 2 avec ses doigts. Un trompettiste enchaîne la 2e moitié de la Gymnopédie, au dernier étage, suivi par l’ensemble de cet orchestre éclaté ! On a l’impression qu’un immense auditorium garni de spectateurs debout, sur 3 niveaux s’est formé à l’intérieur duquel les musiciens continuent sans faiblir la mise en place d’une véritable Passacaille obstinée sur les harmonies de Satie.
9 h 55 : C’est alors que de tous les étals des magasins du sous-sol, de la fromagerie, la poissonnerie, l’épicerie, la laiterie, jaillissent des danseuses et danseurs. Ils interprètent majestueusement une chorégraphie des dernières mesures de cette Gymnopédie. Elles sont jouées en boucle avec, des contrechants, de grands accords de guitare, des arpèges de piano et planant au-dessus le thème de Satie à la trompette venus de tout en haut.
Tous les visiteurs, les marchands, les passants, les responsables du magasin, les enfants, les grands, toute la foule faisant corps avec la musique et la danse sont emportés dans un élan final. Ils explosent en applaudissement lorsque Michel fait le signe final d’interruption sur la dernière mesure concluant la Gymnopédie.
Un hasard ? Une improvisation ? La suite en partie 2…
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