Ostinato, du passe rue au boléro
Descendre dans la rue avec sa guitare et jouer en boucle 3 accords tout en improvisant des chants de circonstance est un geste musical ancestral probablement à l’origine de l’ostinato. En France, connu sous le nom de Passe-rue, et en Espagne Pasa calle, qui a donné la Passacaille, il est devenu une véritable Forme musicale savante. Des compositeurs l’ont sublimée comme Jean Sébastien Bach, mais aussi Henri Dutilleux dans sa première symphonie.
Un rythme qui se répète sans cesse, de façon obstinée, une basse cyclique surmontée de ses accords, toujours les mêmes, ou encore une note seule qui se maintient, répétée ou pas, pendant que toute l’harmonie évolue, autant de procédés d’écriture musicale que j’aborde dans la 34e définition de mon dictionnaire Quésaco l’harmonie : Ostinato, Pédale.
Je vous en fais profiter aujourd’hui en avant-première, joignant, à ma vidéo, cette lettre qui, par ces quelques lignes, vous permettra de mieux l’apprécier.
Où l’obstination est une qualité musicale
Un exemple de répétition rythmique qui continue de séduire tous les publics, c’est le Boléro de Ravel. Le motif rythmique répété de 2 mesures est le suivant :
Notons que la longue mélodie et son harmonie qui passent de pupitre en pupitre dans un sublime travail d’orchestration se répètent aussi sans cesse jusqu’à la seule exception juste avant la fin : une modulation qui semble offrir une porte de sortie de ce magnifique labyrinthe, porte immédiatement refermée, claquée, même par le retour à l’ostinato initial et sa brusque conclusion.
Rameau et Khatchatourian même double bourdon
Les exemples de ces deux petites pièces utilisant un ostinato de basse ou basse contrainte rappellent bien entendu l’usage du bourdon, et même du double bourdon de tonique et de quinte du Ier degré (tonique/dominante) en usage dans les musiques traditionnelles. Certains instruments sont d’ailleurs conçus pour faite sonner cette double basse comme le tambourin à cordes ou Ttun-ttun du Pays Basque.
Nombreux sont les compositeurs qui ont utilisé cette basse contrainte.
Où la quintuple contrainte produit un chef-d’œuvre
Le canon de Pachelbel est le résultat d’une contrainte absolue que s’est imposée le compositeur.
- Une basse obstinée de 8 notes
- Une suite d’harmonies totalement identiques sur ces notes de basse
- Un triple canon (à l’unisson, démarrant de 2 en 2 mesures)
C’est donc la 1ère voix qui, à la fin de chaque cycle harmonique de 2 mesures, impulse la nouvelle mélodie et apporte la diversité, l’enrichissement progressif de l’œuvre, sachant que 2 puis 4 mesures plus loin la 2e et la 3e voix l’imiteront.
Musique descriptive ou pas ?
Bien sûr, la notion d’ostinato convient particulièrement bien pour accompagner toutes sortes de danse. Mais, il peut arriver que le compositeur ait une intention particulière dans une de ses œuvres en répétant inlassablement la même note.
Dans l’exemple du Gibet de Maurice Ravel, 2e pièce de Gaspard de la nuit pour piano, le balancement sordide du pendu constitue l’ostinato. Ce si bémol lancinant est l’exemple typique d’une musique descriptive, illustrant le poème d’Aloysius Bertrand.
Concernant le 15e prélude de Chopin, il en va autrement. George Sand a placé cette composition dans « Histoire de ma vie » pour illustrer comment il serait « venu » à Chopin qui attendait son retour par un soir de très fortes pluies et inondations à Valldemosa. Elle écrit qu’à son arrivée « il jouait son admirable prélude en pleurant ». Ce prélude est ainsi connu sous le nom de prélude de la goutte d’eau. Elle ajoute : « Mais quand je lui fis écouter le bruit de ces gouttes d’eau qui tombaient en effet en mesure sur le toit, il nia les avoir entendues. Il se fâcha même de ce que je traduisais par le mot d’harmonie imitative. » (Marie-Paule Rambeau, Chopin, l’enchanteur autoritaire p 494).
La pédale et l’image du pont harmonique
La pédale, fait partie, en harmonie, de ce qu’on appelle les notes étrangères, ces notes qui gravitent autour des notes réelles, celles de l’accord qui les accompagne.
La particularité de la pédale est qu’il s’agit d’un son fixe, attaqué, note réelle puis tenu ou répété pendant une suite d’accords différents qui s’enchaînent. Le son pédale peut être successivement note réelle de l’accord ou note étrangère, ce qui produit un effet harmonique très riche.
Le schéma qui suit emprunte à la figure du pont la description de ce phénomène : quand le son pédale, ici la basse, appartient à l’accord c’est la pile du pont qui repose au sol, quand il est note étrangère le pont est suspendu !
À la basse, cas le plus fréquent, on trouve souvent une pédale de tonique pour commencer dans les préludes de Jean-Sébastien Bach, puis une pédale de dominante pour ramener la tonalité principale vers la fin et une pédale de tonique pour terminer. C’est le cas dans le XXIIe prélude qui sert d’exemple.
Mais c’est dans l’exemple de Roméo et Juliette de Piotr Ilitch Tchaïkovski que le schéma du pont prend toute sa raison d’être.
Regardez maintenant ma vidéo : j’espère qu’elle vous donnera envie de composer ou d’improviser toutes sortes d’ostinatos et pédales et, le cas échéant, de descendre dans la rue avec votre guitare, votre accordéon ou tout autre instrument pour en faire profiter les autres.
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