Page de vie à Clamart
Clamart, sa mairie, son église et son conservatoire de musique – scène 1
En septembre 1983, j’ai eu le bonheur de remporter le concours de recrutement de Directeur du Conservatoire de Clamart, dans les Hauts de Seine. Ce charmant centre-ville de la banlieue du Sud-Ouest parisien, est occupé par la Mairie traditionnellement posée sur la place centrale avec sa fontaine et un ensemble de bâtisses dont la Maison Ferrari, maison de retraite, l’Église Saint-Pierre-Saint-Paul, et de l’autre côté de la rue, l’ancienne perception transformée en Conservatoire de Musique. C’est donc quelque temps plus tard, en 1986, que je recevais un visiteur se présentant sous le nom de Monsieur Bordier, Edmond Bordier. Petit homme de belle allure, maintien impeccable au parler très doux et l’œil vif, intelligent, tel est le souvenir que je garde de cet homme dont la venue, vous allez le voir, ne manquerait pas de me surprendre.
- Merci de me recevoir, j’habite en face du Conservatoire me dit-il, je n’ai eu qu’à traverser la rue.
Voyant mon étonnement, il précise :
- Je suis retraité et j’ai mon petit chez moi en face, dans l’institut Ferrari.
Une fois les politesses échangées, je lui demande donc :
- Que puis-je faire pour vous ?
Tout d’abord il m’explique la première raison de sa venue. Il souhaite faire don de son piano droit, celui-là même qu’il a dans sa chambre à Ferrari, au Conservatoire car vu son âge, il pense que maintenant, cet instrument sera plus utile aux jeunes élèves de piano qu’à lui-même !
Je remerciais ce Monsieur de son intention généreuse tout en pensant qu’il me fallait vérifier la qualité dudit piano, les exigences en la matière pour nos établissements étant assez élevées vu l’emploi quotidien quasi permanent que nos chers élèves en font ! Je lui proposais donc de prendre rendez-vous pour traverser la rue à mon tour et voir ce piano. Ensuite il suffirait à Mr Bordier d’écrire un courrier à Mr le Député Maire de Clamart, Jean-Pierre Foucher, pour signifier ce don à la commune.
Traverser la rue peut déboucher sur un emploi -scène 2
Puis, pensant que la conversation allait sur sa fin, j’apprends qu’une deuxième raison motivait sa visite. Son explication, assez longue, finit par aboutir : Monsieur Bordier, retraité de la haute administration, a un petit-fils, se prénommant Dominique. Or, Dominique Bordier est musicien, précisément musicien de Jazz. Il sort du CIM, École de Jazz parisienne renommée, avec le prix Quincy Jones qui récompense le meilleur arrangement de l’année, il est pianiste et souhaite enseigner.
Il y a parfois, dans la vie, des conjonctions de situations favorables et nous en vivions une. Ayant une affection particulière pour le jazz qui avait bercé mon enfance, mon père étant pianiste de jazz, un de mes premiers objectifs en tant que directeur, consistait précisément à faire entrer le jazz dans cet établissement.
Je prenais donc note des coordonnées du petit-fils et assurais que je l’appellerai rapidement. De cette rencontre allait naître une belle amitié : en octobre 1986, Dominique a été recruté professeur de piano jazz au conservatoire de Clamart, un professeur de batterie-jazz, Jean-François Mathieu a complété ce recrutement. Tous deux pouvaient compter sur l’aide précieuse du professeur de flûte traversière, également jazzman de renom, Marcel Canillard, qui fut notamment 1er saxophoniste alto dans l’orchestre Claude Bolling, pour développer ce beau département jazz.
Le MC Big band
Dès janvier 1987, un Big band a été créé par Dominique au conservatoire de Clamart, Big band qui a pris par la suite le nom ‘MC Big band’ (en hommage à Marcel Canillar alors décédé). Depuis 36 ans cet orchestre, toujours en activité, s’est produit non seulement à Clamart, mais en différents lieux prestigieux de la capitale dédiés au jazz : le Petit Journal Montparnasse, le Cabaret Sauvage, le Bal Blomet… ainsi qu’en Allemagne à Lunebourg, ville jumelle de Clamart.
Dominique et Jean-François se sont révélés des professeurs remarquables, animateurs infatigables, toujours disposés à partager leur expérience musicale avec toutes sortes d’élèves qu’ils ont formés avec patience et générosité. Lorsque j’ai ouvert un cours d’harmonie au conservatoire, ils étaient les premiers inscrits et tout au long de ces années, autant Dominique par ses nombreux arrangements que Jean-François par ses créations ont montré leur goût pour la composition !
Nous avons lancé avec Dominique et les Éditions Hit Diffusion la collection Pianorama et je constate avec plaisir qu’ils sont toujours professeurs à Clamart heureux de les compter parmi mes fidèles amis.
Un Edmond peut en cacher un autre – scène 3
Cette histoire pourrait se terminer là. Mais Mr Edmond Bordier avait une troisième raison de me parler ! Au moment où je lui demandais s’il ne regretterait pas de ne plus avoir son piano, il m’avoua que sa vie comportait un secret. Derrière le donateur de piano et le grand-père attentionné, il y avait un véritable artiste.
En souriant, il me révélait son jardin secret, il écrivait et publiait de la poésie. Estimant ne pas pouvoir publier ses poèmes sous le nom d’Edmond Bordier sans s’attirer la réprobation de sa hiérarchie, il avait utilisé le pseudonyme d’Edmond Borsent.
Je trouvais la confidence touchante sans me douter de la suite…qui allait avoir des conséquences sur ma vie, sur celle du Conservatoire, de la ville de Clamart et oserais-je l’affirmer sur l’histoire française de la musique telle qu’elle est maintenant racontée dans les livres spécialisés.
Monsieur Edmond Borsent m’annonçait alors :
- J‘ai eu l’inestimable chance de voir un de mes poèmes « Pour une amie perdue » choisi par un compositeur, cette œuvre a fait l’objet d’une édition et a connu un succès plus qu’estimable.
Il est alors facile d’imaginer la question que je lui posais :
- De quel compositeur s’agit-il ?
La réponse qui suit a constitué l’une des plus grandes surprises que j’ai connues dans ma carrière musicale :
- HENRI DUTILLEUX !
Permettez-moi de réserver l’acte 2 et les conséquences de cette révélation pour un prochain article Pour un amid trouvé-Henri Dutilleux Acte 2?
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