Vous est-il déjà arrivé en improvisation ou en composition de tourner en rond dans la même tonalité et de vous dire : comment arriver à en sortir et moduler dans une autre tonalité ?
C’est l’objet de cet article et du suivant. Je vais définir plus précisément la notion de modulation. Mais surtout, illustrer mon propos en donnant des exemples musicaux de façons de moduler.
Définition : modulation
L’action de moduler correspond au moment où, dans le cours d’une œuvre, le compositeur passe d’une tonalité à une autre. Elle se caractérise par l’apparition de nouvelles altérations. Certaines compositions modulent très peu. D’autres, à l’opposé, modulent presque à chaque accord !
Pour faciliter la compréhension d’une modulation, les schémas qui suivent auront les caractéristiques suivantes :
- La tonalité de départ sera figurée par A ;
- La tonalité dans laquelle la modulation s’effectue par B, puis C, etc.
- Une phrase complète par une liaison
- La cadence qui ponctue la phrase par une virgule.
La véritable modulation, progressive
Voici un exemple de phrase modulante :
Le ton principal de cette composition est MI M (4# à la clé). Mesure 16 le texte module en SI M (cadence parfaite, + la#).
Le processus de modulation se produit en cours de phrase et il est progressif. L’accord clé qui permet d’entrer dans la nouvelle tonalité est sa 7e de dominante.
Mais l’oreille est souvent préparée à ce virage harmonique. Ici, de deux façons (voir mesure 15)
- L’accord G# min (IIIe degré en MI Majeur, ton A) appartient aussi à SI Majeur (VIe degré, ton B). Cela facilite la transition. Il s’agit d’une modulation par accord commun. Les degrés du ton B les plus souvent utilisés sont le IVe et le IIe car ils s’enchaînent aisément avec le Ve, accord clé pour moduler en B.
- Un la#, note étrangère entendue au chant. Ce la# implique-t-il que la modulation en SI M a déjà eu lieu ? Non, car cette note étrangère a la fonction de broderie inférieure. Ce type de note étrangère est le seul qui fonctionne au ½ ton hors tonalité*. Par contre ce la#, note étrangère à l’accord III de MI Majeur prépare l’oreille à l’arrivée du la#, note réelle de l’accord de dominante de SI Majeur. *(voir vidéo « Broderie »)
La modulation par juxtaposition, soudaine
Le compositeur peut aussi profiter de la césure offerte par la cadence pour repartir directement dans une autre tonalité. Il s’agit alors d’une modulation par juxtaposition. Une phrase finit en A. La suivante démarre en B.
N’importe quel accord de redémarrage ne peut pas faire l’affaire pour réussir ce genre de modulation soudaine. Une certaine préparation plus subtile est nécessaire.
En voici un exemple particulièrement réussi dans la suite du texte d’Ennio Morricone : mesure 19, enchaînement de B = SI Majeur avec C = LAb Majeur. Remarquez…
- La note pivot au chant (ré# qui devient mib par enharmonie)
- Le chromatisme de la basse (glissement descendant d’1/2 ton)
Gabriel Fauré utilise, lui aussi, ce double procédé préparatoire dans l’exemple suivant (si, note commune aux 2 accords et mi/mi# glissement chromatique ascendant). Mesures 34, 35.
Je donne d’autres possibilités d’enchaînements par juxtaposition dans l’article suivant.
La marche modulante, par imitation
Pour construire une marche il faut composer un modèle puis recopier la mélodie et les harmonies du modèle un peu plus loin et un peu au-dessus ou en dessous, puis enchaîner le tout. Les paramètres de la marche sont la durée du modèle et l’intervalle de recopie entre le modèle et son imitation.
Dans certaines marches, le compositeur profite de l’imitation pour moduler. Dans ce cas, les degrés de A sont aussi recopiés tels quels en degrés de B.
Dès que l’imitation commence, l’oreille reconnaît le modèle et s’attend à la répétition de la mélodie et de l’harmonie. Aucune autre préparation n’est donc nécessaire pour cette modulation.
L’emprunt, fausse modulation
Il arrive aussi qu’une phrase commence et finisse en A. Pourtant un ou plusieurs accords (minoritaires) présentent d’autres altérations que celles de A. Les accords qui contiennent ces altérations et les degrés qu’ils occupent sont appelés altérés.
Ils ne conduisent pas à une tonalité B. Ils sont empruntés occasionnellement à une tonalité B, C, etc. Ces emprunts ne modifient pas la tonalité générale de la phrase. L’emprunt n’est donc pas une modulation.
Ici Vladimir Cosma altère le Ier degré de LA Majeur (mesure 6) par un accord qu’il emprunte à LA mineur (Ier degré). Mais il ne module pas car l’accord suivant est de nouveau un Ier degré de LA Majeur.
Grâce à cette partition, voyons la différence entre un emprunt et une modulation :
J’ai imaginé une version modifiée dans laquelle le même accord (2 premiers temps de la mesure 6) serait employé comme préparation du Ve degré (3e et 4e temps de la mesure 6) de SOL Majeur. L’accord suivant, cette fois, est un Ier degré de SOL Majeur. Dans cette version modifiée il y a bien une modulation. Mais ce n’est plus la même Marylin. Pardon Monsieur Cosma !
Révisez et analysez
Prenez le temps de revoir ces exemples et leur présentation. Dans les articles suivants, je répondrai à ces questions, avec des exemples concrets :
- Qu’appelle-t-on moduler aux tons voisins ?
- Comment le faire ?
- Qu’appelle-t-on moduler aux tons éloignés ?
- Comment le faire ?
Profitez-en pour analyser des partitions qui vous sont familières en essayant d’identifier précisément les modulations : l’accord qui permet de moduler, son éventuelle préparation et le genre de modulation.
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