En vous racontant aujourd’hui la 2e partie de mon récit intitulé Pour un ami trouvé, (voir l’article), j’illustre ce qu’on appelle l’effet papillon : comment l’écriture d’un poème sous un nom d’emprunt peut avoir d’influence durable sur le projet culturel collectif d’une ville de plus de 50 000 habitants.
Vous avez dit Henri Dutilleux ? – scène 1
Qu’évoque pour vous le nom d’Henri Dutilleux ? S’il n’évoque rien de particulier ou simplement la vague idée d’un compositeur dont vous ne connaissez ni la vie ni les œuvres, je vous suggère de lire sa biographie parue chez Actes Sud en 2016 Henri Dutilleux sous la plume de Pierre Gervasoni.
C’est un remarquable travail de recherches qui, de plus, a eu l’aval de l’intéressé. En effet, Henri Dutilleux lui a donné accès à ses archives personnelles très fournies. Personnellement, le premier contact avec la musique de ce compositeur a été en cours d’analyse au CNSMD de Paris.
Nous avons décortiqué Métaboles, œuvre symphonique créée en 1965 aux USA par George Szell, à qui elles sont dédiées. J’ai eu la surprise d’y découvrir la conception dodécaphonique poussée d’un compositeur. J’ai compris plus tard qu’il ne s’agissait pour lui que d’une contrainte choisie occasionnelle, sans esprit d’école. Sa liberté de créateur était totale et son refus absolu d’adhérer à un quelconque mouvement musical. Depuis, j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt l’élaboration de son œuvre et toujours estimé qu’il s’agissait d’un compositeur majeur du XXe siècle
Le repas annuel – scène 2
Comme je vous l’ai expliqué dans l‘article précédant, j’ai été ravi de découvrir qu’Edmond Bordier allias Borsent, mon « voisin » clamartois, était l’auteur d’un poème choisi par Henri Dutilleux.
Edmond m’expliqua que chaque année malgré son activité incessante, Dutilleux ne manquait pas de l’inviter au restaurant pour commémorer leur collaboration. Ma dernière visite à cet « ami trouvé », me laissait présager le pire car sa santé déclinait. Edmond Bordier est décédé quelque temps plus tard. Mais l’effet papillon avait eu le temps de fonctionner !
Le concours – scène 3
Entretemps la situation du conservatoire de Clamart évoluait. Nous avions, comme objectif, réussir l’examen de passage que constituait l’inspection de l’établissement par Jean-Pierre Seguin, représentant le Ministère de la Culture, afin d’obtenir le label « conservatoire agréé ». L’objectif atteint, Monsieur le Député-Maire Jean-Pierre Foucher avait l’ambition de doter la ville d’un lieu d’enseignement de la danse et de la musique correspondant aux nouveautés pédagogiques.
Un concours d’architecte sur la base d’un cahier des charges précis, sur lequel j’étais consulté, a été lancé. La remise des maquettes exposées en Mairie, les avis des Clamartois découvrant ces projets, les opinions des utilisateurs, mes collègues et surtout le déroulement du concours où j’ai eu le privilège de participer au jury m’ont beaucoup intéressé.
J’avais déjà participé à ce genre de débat à l’école d’architecture pour le passage d’un examen de sortie d’un jeune architecte dont le projet était : construction d’un conservatoire de musique idéal !Cette fois les exigences étaient bien réelles et les contingences d’un établissement spécialisé dans l’enseignement de la musique sont très nombreuses.
Le site choisi était très proche du centre-ville à l’orée du bois de Clamart-Meudon, jouxtant les stades, donc un emplacement très agréable. Le projet qui a majoritairement emporté l’adhésion du jury était celui de l’équipe de Monsieur Claude Gonzague qui, tout en observant au mieux les contraintes, offrait au regard des visiteurs l’esprit d’un véritable village aux toits enchevêtrés, aux circulations aérées, à la luminosité radieuse. Il s’inscrivait parfaitement dans le centre-ville clamartois en lien avec la forêt voisine.
Un parrain bien vivant et actif – Scène 4
C’est pendant la préparation de ce projet que l’idée m’est venue. Et c’est lors d’une dernière visite à Edmond que je lui exposais :
- Nous allons faire construire un nouveau bâtiment pour le conservatoire et il va falloir lui donner un nom. Un nom de compositeur, c’est la tradition. Personnellement je trouve dommage que le parrain choisi ne soit plus en vie pour jouer son rôle, c’est-à-dire échanger vraiment avec l’équipe enseignante, les élèves et leur famille… Croyez-vous que vous pourriez m’aider à entrer en contact avec Maître Dutilleux pour lui proposer que notre établissement porte son nom ?
- Avec grand plaisir ! me répondit Edmond
- Je pense que comme chaque année il va me contacter pour que nous déjeunions ensemble et maintenant, vous allez m’expliquer ce que je dois lui dire.
J’avais pris soin de vérifier : aucun conservatoire de musique n’avait encore entrepris cette démarche. Mon enthousiasme fut brisé net par le décès d’Edmond Bordier survenu le 11 octobre 1986.
La réponse attendue – scène 5
Chercher un autre compositeur vivant me semblait impossible tant ce projet m’avait enthousiasmé ! Si près du but, ne pas savoir ce qu’aurait répondu Henri Dutilleux me laissait très insatisfait. La seule décision qui s’imposait à moi était donc la suivante : tenter le tout pour le tout en écrivant à Henri Dutilleux moi-même.C’est ce que j’ai fait en lui racontant toute l’histoire liée à la personne d’Edmond Borsent depuis le début et en terminant par la demande formelle :
- Accepteriez-vous, cher Maître, de donner votre nom à notre établissement à l’occasion de la construction d’un nouveau bâtiment ?
Quelque temps plus tard, une lettre manuscrite d’Henri Dutilleux d’une extrême politesse m’annonçait qu’il était touché par cette demande et l’acceptait !J’avais donc maintenant les mains libres pour proposer à Madame Claude Chappey, maire-adjointe à la culture et bien sûr à Monsieur Foucher cette idée qu’ils ont très rapidement adoptée, le dom de Dutilleux faisant consensus dans une équipe municipale déjà tournée vers l’avenir ayant un centre culturel portant le nom du sculpteur Jean Arp.
Épilogue
Le samedi 7 février 1998, une nuée de journalistes, caméramen et autres suiveurs s’abattait sur le conservatoire de musique et de danse agréé Henri Dutilleux sur les pas du compositeur pénétrant dans le hall à l’occasion de son inauguration.
Monsieur le Député Maire et Le Directeur, Henri Thomaso qui avait pris ma suite, mes activités professionnelles m’ayant amené dans le Sud-Ouest, l’accueillaient difficilement au milieu de la foule. Ayant reçu une invitation, mon épouse et moi-même emboîtions le pas pour nous diriger vers les lieux de la cérémonie.J’ai eu ce jour-là le plaisir de lui être présenté et d’assister au concert donné en son honneur dans l’auditorium. Après les discours officiels, ce concert d’œuvres du compositeur a ravi l’auditoire clamartois, ce qui m’a confirmé l’importance d’un parrain bien vivant.
Ensuite, nous avons eu droit à une visite des lieux inoubliable, Henri Dutilleux s’intéressant à chaque pièce du bâtiment et nous gratifiant sur chaque piano rencontré d’un petit extrait musical.
Le conservatoire de Clamart vient de faire l’objet d’une rénovation et se dresse fièrement à l’entrée du bois quand on vient de la Mairie vers le stade témoignant de l’authenticité de cette histoire. Il participe activement à la vie culturelle de la ville.
Dans le programme des festivités, le jour de cette mémorable inauguration, parmi l’énoncé des pièces musicales interprétées se détache un paragraphe :« Pour une amie perdue » Mélodie d’Henri Dutilleux sur un poème d’Edmond Borsent : par Lionel Erpelding, baryton (professeur au Conservatoire) et Dominique Bordier, piano (professeur au Conservatoire et petit-fils d’Edmond Borsent). Article précédent
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