La chute en musique
En musique pour composer ou harmoniser un texte, il est important de maîtriser ce qu’on appelle les cadences. Remarquez que ce mot vient du verbe italien cadere qui signifie choir, tomber, en somme chuter. Chaque fin de membre de phrase, de phrase elle-même, de partie d’un morceau et bien sûr du morceau lui-même a sa chute, sa cadence.
Par analogie avec les phrases littéraires, on définit donc les cadences comme la ponctuation du discours musical.
Je reçois souvent des questions et des demandes d’explications concernant les cadences en harmonie. Je vais donc détailler mes explications sur ce sujet en 4 articles.
- La cadence parfaite
- La demi-cadence et la cadence rompue
- La cadence plagale
- Les cadences imparfaites
Commençons aujourd’hui par ce qu’on appelle la cadence parfaite.
Introduction à la cadence parfaite
Que l’on raconte une courte histoire ou écrive un long roman, il y a une partie qu’il faut toujours soigner, c’est la chute.
Souvent, connaître la fin d’un chapitre ou plus encore, de tout un livre remet en question la vision et même la compréhension que l’on a de l’ensemble du texte.
Il existe toutes sortes de chutes qui vont de la chute paisible, logique à la chute surprenante, parfois sidérante !
Des perfections contrastées
Pour prendre l’exemple de partitions composées par L. V. Beethoven qu’y a-t-il de commun entre la fin du mouvement lent de sa sonate pour piano en Ut# mineur connue sous le nom de sonate au clair de lune, fin qui se meurt peu à peu pianissimo dans le grave de l’instrument et la chute brillantissime de sa 9e symphonie pour chœur et orchestre ? Le type de cadence. Dans les 2 cas, il s’agit d’une cadence parfaite.
La cadence parfaite : un apaisement …
Comment définit-on précisément la cadence parfaite ? Suivant son appellation, c’est celle qui doit parfaitement terminer une phrase de manière à la conclure de façon définitive.
C’est l’enchaînement des accords que l’on choisit qui détermine la sensation que l’on éprouve en fin de phrase. Si la ponctuation est de nature conclusive, le dernier accord doit être un accord de repos placé sur un degré tel que l’on est satisfait que cela soit fini !
Il existe un seul accord qui remplisse parfaitement cette fonction harmonique, c’est le Ier degré à 3 sons. En DO# mineur (exemple 1) ce sont les notes do#, mi, sol#, avec à la basse le do# qui est la tonique de la tonalité du mouvement lent de Beethoven, son grave de repos total. En RE Majeur (exemple 2), c’est l’accord ré, fa#, la avec ré, tonique à la basse. On remarque que Beethoven le simplifie pour finir sa symphonie en éliminant même le la.
Une cadence parfaite comprend toujours 2 accords. C’est l’enchaînement des 2 qui donne le sentiment conclusif. Il n’est donc pas étonnant que le premier des deux accords soit plutôt un accord instable avec une tension provoquée par l’association de sons demandant à se résoudre dans le dernier accord qui suivra.
… qui suit une tension
Le Ve degré, degré de dominante, remplit toutes ces fonctions pour au moins les raisons suivantes :
- Il comprend à sa 3ce la note sensible qui, comme son nom l’indique, est ‘naturellement’ appelée à s’enchaîner avec sa note voisine, la tonique appartenant à l’accord du Ier degré (dans l’exemple 1a et 1b si# se résout sur do# et dans l’exemple 2 do# sur ré).
- Plus subtil, il peut comprendre une 7e par rapport à sa basse qui, elle, se résout en sens inverse sur la 3ce de l’accord du Ier degré (1a et 1b : fa# vers mi).
- L’intervalle entre ces 2 sons, une quarte augmentée ou 5te diminuée est d’une nature dissonante (ou longtemps considérée comme telle). Il réclame donc par sa double résolution l’apaisement produit par la 3ce ou sixte qui le suit dans l’accord final.
Ajoutons que, dans l’exemple 1b, après avoir prononcé une première fois la cadence parfaite de conclusion (ex 1a) et ajouté une coda, arrivé tout à la fin, Beethoven fait aussi passer un 5e son dans son accord de dominante, une 9e mineure = la, destinée à descendre sur le sol#.
Quant à la conclusion de la symphonie, les chœurs à l’unisson prononcent les notes la et ré au moment de la cadence terminale (ex 2) alors que l’orchestre complète par une ligne mélodique en triples croches aboutissant sur la, si, do#, ré (sensible, tonique). S’ensuit une longue coda, à la mesure de l’œuvre, où la répétition de l’enchaînement des degrés V-I martèle une chute tonitruante.
LA CADENCE PARFAITE EST DONC L’ENCHAÎNEMENT ENTRE LE Ve DEGRÉ (à 3 ou 4 sons ou plus) ET LE Ier DEGRÉ D’UNE TONALITÉ (à 3 sons).
Deux modèles de cadences parfaites
Voici donc en DO majeur et DO mineur les enchaînements des 2 accords qui constituent la cadence parfaite type telle qu’elle serait chantée par un chœur mixte a capella, de bas en haut les basses et ténors en clé de fa pour les hommes et les altos et les sopranos en clé de sol pour les femmes.
Remarquez la quarte augmentée (fa-si) entre les altos et les sopranos, tension qui réclame une résolution consonante sur l’intervalle de 6xte entre la médiante et la tonique de DO : mi-do en Majeur, mib-do en mineur.
Évaluez votre compréhension
Pour vérifier vous-mêmes si vous avez bien compris je vous propose 4 cadences. Deux seulement sont parfaites. Je parlerai des autres cadences dans une prochaine lettre.
Bien sûr les choses ne sont pas toujours aussi simples que dans mes deux modèles, à vous d’exercer votre analyse !
Solutions
Les bonnes réponses sont 4a et 4d.
4a – Il faut regarder les 2 derniers accords. Cette pièce est en SOL Majeur. L’avant-dernier accord (de bas en haut) est Ré-la-fa#-do-ré (au chant, la sensible, fa#) et le dernier Sol-ré-sol-si-ré (au chant, la tonique, sol). Donc Ve degré enchaîné au Ier.
4d – Plus difficile ! Grieg présente le thème de ce mouvement lent en REb Majeur mais sa première phrase se conclut sur 2 accords où il introduit un sol bécarre qui fait moduler tout de suite au ton de la dominante, LAb Majeur. Regardons les basses des 2 derniers accords : mib et lab, Ve enchaîné au Ier degré de LAb Majeur donc cadence parfaite.
Il reste à lire les 2 accords qui doivent comprendre les notes mib-sol-sib-réb (7e de dominante) puis lab-do-mib pour être une cadence parfaite. Pour le second accord, c’est bon. Pour le premier il y a un do, au chant, à la place du sib. Pourquoi ? Il s’agit d’une appoggiature non résolue. Le chant conventionnel serait do, sib (2 doubles-croches), lab (noire). Le compositeur se permet d’élider le sib. Les romantiques l’ont fait avant lui !
Autre différence, plus originale, au lieu de faire monter sa sensible sol bécarre sur lab, c’est elle qui avec la note de passage fa, forme 2 doubles croches pour descendre sur le mib. Il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit d’une cadence parfaite.
4b et 4c – 4b présente une cadence rompue en MI Majeur dont je vais parler aujourd’hui et 4c une cadence plagale imparfaite en SI mineur (nous verrons plus tard).
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